Une approche de l’investissement base sur la satisfaction client apparaît presque originale dans le paysage de la gestion. Dommage, car la corrélation avec la valeur boursière est largement démontrée.
Existe-t-il un lien entre un degré de satisfaction client élevé et la performance boursière ?
Pour une entreprise, un taux élevé (plus de 80%) de satisfaction client offre l’avantage d’un coût de fidélisation plus faible, d’une moindre sensibilité au prix et également de réduire les coûts d’acquisition des nouveaux clients (le bouche à oreille favorable fait une partie du travail de promotion). Les entreprises qui se focalisent sur ce point surperforment celles qui font moins de travail auprès de leurs clients. Ceci est établi au travers de recherches menées depuis une quarantaine d’années, en particulier par Claes Fornell. En France, ce lien a notamment été étudié par Philippe Moati dont le livre «La nouvelle révolution commerciale» tend à montrer qu’un indice de satisfaction client est étroitement corrélé à la rentabilité et à la génération de free cashflows. La période de faible croissance rend le concept encore plus prégnant, obligeant les sociétés qui veulent croître à s’appuyer sur une clientèle fidèle. Notre conviction est que l’actif client représente une énorme valeur. Pour nous, une entreprise est avant tout un collectif au service du client, un concept que la finance a eu tendance à oublier…
La recherche de la satisfaction client concerne-t-elle tous les secteurs ?
Oui, sauf l’immobilier (trop de variabilité d’un client à l’autre) et les matières premières (où la satisfaction se résume à être livré du produit commandé). Tous les autres secteurs sont concernés, y compris le luxe où des enquêtes clients sont menées régulièrement.
Le concept s’arrête-t-il aux clients en tant que consommateurs, ou bien s’étend-t-il au business to business ?
La satisfaction peut tout à fait être mesurée si le client est une entreprise. Il est même plus facile pour un SAP ou un Oracle de sonder ses clients à propos d’une offre logicielle globale présentant quelques déclinaisons, que pour un L’Oréal de mesurer la satisfaction de ses clients dans des dizaines de pays par rapport à des milliers de références, même si internet a beaucoup diminué le coût des études. D’une façon générale, plus le travail d’avant-vente est ardu, plus une entreprise à intérêt à satisfaire ses clients, puisque le fait de les fidéliser permet alors d’importantes économies.
Concrètement, comment investissez-vous sur ces entreprises à fort «Return On Consumer»?
Trusteam s’appuie sur différentes enquêtes et a noué un partenariat exclusif avec Ipsos pour créer un indice de satisfaction client au niveau européen. Nous présélectionnons une centaine de sociétés qui ont mis le client au cœur de leur projet, réparties géographiquement suivant le MSCI World. Après analyse classique des fondamentaux et de la valorisation, le portefeuille compte une quarantaine de lignes, pratiquement équipondérées, la position la plus importante ne dépassant pas 3,5% du total. Le taux de rotation est faible, environ 30% du portefeuille à l’année. A noter qu’en deux ans et demi, sept sociétés présentes dans le fonds ont fait l’objet d’une OPA.
La dernière étant le Club Méditerranée. Pour quelle raison?
Notre investissement était lié au traitement particulier du client dans toute l’organisation ; un choix stratégique qui a permis au spécialiste des villages de vacances, malgré des erreurs de gestion, de séduire Fosun et les fonds AXA PE. Précédemment nous détenions Heinz, repris par Warren Buffett, Del Monte Food racheté par KKR, Motorola par Google, Clorox attaqué par Carl Icahn, Rue du Commerce acquis par Altarea Cogedim et Sprint racheté par Softbank (dont l’OPA est toujours en cours).
Est-ce un hasard s’il y a beaucoup de noms américains dans cette liste? La satisfaction client est-elle moins recherchée en Europe?
Effectivement les pays anglo-saxons sont plus sensibles à la satisfaction du client et placent volontiers ce dernier au coeur du système. On peut citer Coca-Cola qui offre un produit de qualité constante dans tous les pays du monde, au point que dans certains pays il est recommandé de boire du Coca plutôt que de l’eau car les oprations d’embouteillage sont très contrôlées, Disney qui fait tout pour distraire ses clients, Amazon qui a bâti son modèle sur la satisfaction client passant ainsi de 16 millions de dollars de revenus en 1996 à 80 milliards aujourd’hui.
Toutefois, si la notion de service n’est pas toujours à la pointe en Europe, certaines sociétés accomplissent des efforts considérables. Ainsi ADP, pourtant en situation de monopole puisque concessionnaire exclusif des aéroports parisiens, a entamé depuis quelques années une démarche pour mesurer et améliorer la satisfaction des visiteurs. Et la hausse du taux de satisfaction se révèle directement corrélée à la progression du panier moyen.